Thérèse Ampe-Jonas . Artiste plasticienne
Thérèse Ampe-Jonas est une artiste française née en 1944. Son oeuvre protéiforme prend racine dans la pratique de la miniature, dès le début des années 70. Elle réalise alors des assemblages narratifs, petits théâtres de la cruauté - relatant sa vie, ses réflexions, ses expériences et ses angoisses personnelles - au sein desquels les fèves sont autant de démultiplications d'elle-même. En 1974, elle réalise Ma circonstance, autoportrait la représentant de dos face à une toile blanche, son atelier et certains paysages du monde. Cette photographie est enserrée dans une boîte en carton sur le rebord duquel se dresse I'un de ses avatars. Dans la même posture que l'artiste ce dernier constate et témoigne impuissant de la circonstance de sa créatrice : celle d'une femme, d'une artiste et d'une mère, tiraillée entre ses projets et la rudesse de la réalité que lui incombe son statut.
Éminemment autobiographique, son travail s'inscrira ensuite dans la lignée conceptuelle. En 1980, elle expose son installation/performarce, Rencontre d'un lieu et du hasard, à la Galerie-Association Katia Pissarro (Paris). Dans un jeu de mise en abyme, Thérèse Ampe-Jonas se dédouble à nouveau. Elle présente un autoportrait photographique en pied à échelle 1, issu d'une performance intitulée Parcours de tous les possibles (1980), présentée lors de la 11" Biennale de Paris la même année. Elle recontextualise et poursuit l'oeuvre pour laquelle elle a simultanément donné 11 coups de pinceaux, sur 11 plaques de carton gris, pendant 11 jours et réalisé un tracé de 11 mètres au sol, devant chez elle. Si l'espoir innerve cette performance inaugurale - preuve en est son intitulé -, l'artiste se livre pourtant à une course d'obstacle permanente.
Aussi, la centaine de cartons de boutons qu'elle récupère et thésaurise entre 1978 et 1984 témoigne de la couture, pour ne pas dire de la suture, qu'elle opère entre sa production artistique et sa vie quotidienne. Le choix du petit format est peut-être inconscient mais pas anodin: comment se livrer au monumental et achever ses oeuvres lorsque les journées s'écoulent au rythme des obligations maternelles ?
Parce qu'en géologie, le terme de suture est synonyme de cicatrice il est intéressant de noter qu'en 1984, l'artiste réalise une installation in situ dans le jardin du Centre National des Arts Plastiques (Paris) lors de l'exposition collective Sols. Cette pièce de 55m2 constitue un maillage de rideaux et de lanières fixé par des arceaux et piquets d'arpenteurs. Intitulée Terrain nécessaire, cette oeuvre n'est autre que l'espace dont elle a manqué et qu'elle s'approprie, n'hésitant pas à rectifier la planéité du sol et à sanctuariser un lieu que l'on ne doit traverser.
Dans les années 90, elle réalise plusieurs toiles et s'inspire notamment du Bara de Jacques-Louis David (1794). Thérèse Ampe-Jonas s'appuie sur cette figure androgyne pour réaliser Bara I et II (1994), directement calqués sur le corps de sa fille Meryll alors âgée de onze ans. Ces toiles donneront naissance au Livre Sonore : BARA, MERYLL, ébauche d'ARIA (1995-2008), porté par le romancier et critique d'art Gilbert Lascault, le compositeur et écrivain Jean-Yves Bosseur et l'artiste elle-même. Cette pièce joue d'une sensibilité démultipliée, basée sur la sollicitation de plusieurs sens : le toucher (tourner les pages), la vue (regarder l'oeuvre) et l'ouïe (écouter l'aria). Par ailleurs, l'oeuvre fait directement écho à ses Paysages Sacrés I et II (1994), dont la nervosité du fait et la teneur expressionniste se trouvent mêlées, masquées, voire diluées par la blancheur du pigment acrylique. Gilbert Lascault définira d'ailleurs ce contraste dès 1975 : << Nous sommes perdus dans la neige, noyés dans le lait, égarés sur le papier. Le paysage ici, s'offre et se refuse à l'écriture. Il est lieu du moindre discernement. »» (Gilbert Lascault, « Les Labyrinthes de la Clarté », cat. exp. « Grandes femmes, petits formats >>,1974). En 2016, Faire paraître agit comme la synthèse des recherches de l'artiste sur les sens et leur expression, sur la sensibilité et sa retranscription. L'oeuvre réunit cinq bandes de papier buvard, sur lesquels sont respectivement griffées huit bandes d'octaves, ainsi qu'une oreille en terre crue (à échelle 2). Elle n'est autre que la formalisation du processus musical et de son évanescence.
Thérese Ampe-Jonas fait de son histoire personnelle le curseur fondamental de son oeuvre dont elle invite le spectateur à percer et explorer les strates. En proposant des titres ciblés et significatifs, l'artiste se livre à ce qu'Anne Tronche qualifie de << parole lapidaire ouvrant le lieu d'une figuration psychanalytique... » (« La Matière du Temps >>, Oltus Internationul, mal-juin 1978, à l'occasion de sa première exposition personnelle, « Recto-Verso-Permutables », à la galerie Ilanne en 1978).
Depuis 2016,1'artiste réalise une oeuvre photographique sérielle pour laquelle elle effectue des autoportraits au jour le jour. Archives de sa vie quotidienne, ces derniers sont d'autant plus saisissants que leur spontanéité semble pleinement assumée.
Emilie Robert, le 18 juin 2018
Docteure en Histoire de l'Art Contemporain (Université Parts I)